Habituellement, la Nuit Blanche ne m’empêche pas de dormir. Mais hier – une fois n’est pas coutume – j’ai eu la chance d’y prendre part. Chiara Parisi et le patron de la Monnaie de Paris, Christophe Beaux, ayant eu l’audace de présenter au public le Quatuor Hélicoptère de Stockhausen, ils m’avaient invité à y tenir le rôle du modérateur. Cette œuvre est un défi artistique autant que technique : les membres d’un quatuor à cordes sont emportés dans quatre hélicoptères, et les sons qu’ils produisent, envoyés, par le biais d’un avion-relais, vers une console de mixage où l’ensemble est mis en cohérence, puis diffusé au public par haut-parleurs et grands écrans. En l’occurrence, les quatre jeunes virtuoses de la formation britannique Elysian Quartet décollaient de l’hippodrome d’Auteuil pour survoler Paris ; le sound designer Ian Dearden mixait le fruit de leurs efforts dans la somptueuse salle Dupré du Palais de la Monnaie.
De prime abord, l’envergure insensée de la performance, les harmonies et disharmonies très singulières de la partition, les légers dysfonctionnements liés forcément à une technologie poussée à ses limites – tout cela ne pouvait que surprendre le public, voire le heurter. Il paraît qu’au Pont-Neuf, où le spectacle était retransmis sur écran géant, des voix ronchonnes se seraient fait entendre… Je ne jette pas la pierre à ce public bougon, mais je préfère évoquer les étincelles que j’ai surprises dans certains regards, et l’étonnement bienveillant de la plupart des auditeurs. Leur attitude ouverte m’a rappelé une déclaration de Jean Cocteau, diffusée vendredi dernier, lors de notre rendez-vous Au cœur de l’histoire.
En 1961, sur l’antenne d’Europe 1 – alors Europe N°1 – le poète s’exprimait en ces termes : « J’aime aimer ; et la chose que je reprocherais à notre époque, c’est de ne pas aimer aimer : on aime plutôt haïr. (…) Moi, chaque fois que je vais voir un spectacle, je m’ouvre en deux pour que ce spectacle entre. J’estime qu’il y a une époque où l’on doit recevoir ce qui vient du dehors comme si un hôte royal allait pénétrer chez vous. Les gens reçoivent le neuf comme si c’était du malpropre. »
Cocteau avait raison : car si le neuf n’est pas forcément bon – il arrive même qu’il soit détestable – il n’est jamais mauvais de s’y ouvrir. C’est peut-être même la seule façon d’avancer.
Merci pour la découverte !
🙂