Après Alain Finkielkraut, c’est au tour du sociologue Michel Maffesoli de rompre avec «le grand guignol politique, journalistique, académique, administratif » – entendez : la logorrhée intello-médiatique. Son pamphlet : Les nouveaux bien-pensants, cosigné par Hélène Strohl, n’est pas seulement un baume sur les plaies de ceux qu’exaspèrent les incantations vaines à « la démocratie, la citoyenneté, le contrat social, la République et autres pensées convenues de la même eau », condamnées à ne plus faire sens « que dans le cadre d’un entre-soi des plus étroit ». C’est aussi une convaincante explication de l’actuelle poussée du « populisme », souvent justifiée par la crise économique et sociale. Et si, demande Maffesoli, ce divorce entre le peuple et les élites était dû, avant tout, à une crise intellectuelle ? Ceux qui occupent le devant de la scène se sont laissé enfermer dans leur discours ; ils ne comprennent plus la réalité !
Où l’on songe au grand Arnold Toynbee et à sa métaphore des alpinistes : les qualités qui ont permis à une élite de répondre à un défi de civilisation ne sont pas celles qui lui permettraient de répondre au défi suivant…
Michel Maffesoli fut naguère – avec le philosophe Gilles Lipovetsky – l’un des forgerons de la notion-clé de postmodernité. J’avais traduit ses conclusions en termes historiques, et forgé pour moi, d’après lui, la notion de « dividualité ». Au fil des siècles, les comportements humains se sont définis d’abord par référence à la tribu, puis au clan, puis à la famille, puis à la personne de plus en plus individuelle – l’individu étant l’entité ultime, indivisible. Or, de même que les physiciens ont fait éclater l’atome, de même les sociologues font éclater l’individu : chaque personne peut être vue, aujourd’hui, comme « dividuelle » – Maffesoli dit « plurielle » – c’est-à-dire composée de « dividus » évolutifs, mouvants, s’agrégeant ponctuellement à d’autres, par affinités.
Les conséquences de ce phénomène sont aussi puissantes qu’innombrables : habitat modulaire, flexibilité des carrières, etc. Il trouve son lieu d’élection dans la cyber-sphère, et devrait nous inviter, comme le font Maffesoli et Strohl, à « repérer les valeurs postmodernes en train d’émerger ».