Nuits écourtées, agendas allégés, aiguillon des vacances qui s’annoncent : le passage à l’été se révèle propice aux dîners en ville. J’en retiendrai trois pour le plaisir, dans des genres bien différents.
Lundi 16 juin.La grande tradition. Hôtel particulier entre cour et jardin, superbe table croulant sous les cristaux,valets en livrée, service « à la Beaumont »… Chaque fois que je prends part à de telles agapes – invité ce soir par un charmant marquis italien– je me réjouis in petto que subsistent de tels tributs à notre civilisation et à ses élégances. Comme chez Baudelaire, « les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». Soupers de princes et d’artistes mêlés ; ma voisine se révèle être une véritable maharané –nullement impressionnée du reste par ce concours de tous les raffinements… Disons-le : je suis fier que notre vieille Europe, dans quelques rares maisons de grande tenue, puisse recevoir encore les maharajas sans rougir – mais pour combien de temps ?
Mercredi 18 juin. La Bohême idéale. Cinquième étage – sans ascenseur. Parquets cirés ; causeuses couvertes de vieux plaids ; rayons de livres jusqu’aux plafonds ; fenêtres à peine mansardées, envahies de berceaux fleuris – « on est chez Mimi Pinson », fait remarquer avec justesse un des convives. Le maître de maison est éditeur, il maîtrise les harmonies et nous sert lui-même de délicieuses paupiettes à l’ancienne. Un peu grisé, peut-être, par le bon vin, je me dis que ce dîner aurait pu prendre place – quasiment à l’identique – en 1980, en 1935, en 1890… Chance que cette perte des repères, lorsqu’elle nous fait toucher du doigt, réminiscence Proustienne, ce qu’il y a de délicieux dans le fait de vivre !
Jeudi 19 juin. Pique-nique haut-perché. Je réunis ce soir mes jeunes collaborateurs de la radio, dans la végétation profuse d’une terrasse ouverte sur Paris. Au loin, la Tour Eiffel ; ici, la joyeuse animation des voix qu’il faut un peu forcer pour couvrir la musique… On se passe les terrines, on allume les photophores, on éponge le champagne qui s’est répandu dans l’inadvertance d’une effusion. Nous nous serrons à une grande table improvisée, où l’on fait passer les assiettes de paëlla sans aucun chichi… Pas de valets ce soir, peu de références littéraires – et cependant, la même magie des belles soirées amicales, avec les étoiles pour témoin et cette bise tiède qui, par vagues, balaie ce que les sourires pourraient cacher, parfois, de petits drames intimes.
Savoir que de tels « raffinements » existent encore, réchauffe le cœur mais quand on a la chance de pouvoir faire la différence entre hier et aujourd’hui, je ne peux m’empêcher de trembler pour …demain.
C’est un plaisir de lire vos billets par lesquels vous nous faites partager Monsieur Ferrand seulement en quelques mots les moments forts de votre semaine. Nous sommes immédiatement transportés dans la magie des lieux. Chaque semaine, vous semblez vivre des expériences uniques, souvent à forte tonalité proustienne. Quelle chance vous avez !