La notion existe au Japon depuis 1950. Rien d’étonnant à ce que des « trésors vivants » aient été identifiés, protégés d’abord au sein de l’Empire des Signes, au pays où la civilisation, dans ses raffinements suprêmes, tient à certains rites. Les grands maîtres du Nô et du Kabuki, mais aussi les artisans-artistes en céramique, en laque, en tissages précieux, font l’objet, de la part des Japonais, d’une vénération aussi forte que les trésors matériels de pierre ou de bois. Certains gestes, après tout, ne témoignent-ils pas de siècles de peaufinage, de tension vers une forme de perfection ?
Plus proches de nous, dans l’esprit, dans l’espace et dans le temps, des intellectuels marocains ont fait émerger, depuis un quart de siècle, la notion voisine de « patrimoine immatériel ». La France s’en est emparée, et l’on a vu, en 2005, éclore ici le label Entreprise du patrimoine vivant (EPV), visant à distinguer et à défendre une certaine excellence artisanale. Il est vrai que notre pays, depuis bien longtemps, excelle en matière de broderie, de maroquinerie, d’orfèvrerie, entre autres – de gastronomie aussi…
Hélas, en dépit de ces bonnes intentions, les métiers d’art appartiennent aux activités en voie de disparition, et je ne cesse de rencontrer des marqueteurs spécialisés, des horlogers régionaux, des marbriers survivants, effondrés de voir se perdre un savoir-faire dont ils se savent dépositaires ultimes. Trop de contraintes, trop de charges, et surtout trop de dureté dans la discipline à suivre… « Les jeunes ne veulent plus se donner cette peine », me répète-t-on.
Est-ce tellement vrai ? Et si, en vérité, le problème résidait dans un défaut de notoriété ? Si certains savoir-faire uniques disparaissaient, faute, simplement, d’avoir su se faire connaître ?
Je visitais récemment le chantier de restauration du boudoir versaillais de Marie-Antoinette – ce que l’on appelle le Cabinet de la Méridienne. Les merveilleuses boiseries de cette petite pièce, une fois démontées, laissent apparaître leur complexité inouïe – jeu sublime, étourdissant même, d’emboitements et de coulissages. Or, le jeune homme qui nous en révélait les secrets n’avait pas vingt ans ! C’était un apprenti tout habité par sa matière, visiblement ébloui lui-même par ce grand art de la haute-menuiserie, qu’il espère maîtriser un jour comme l’ont possédé ses lointains devanciers.
Je me disais, en le voyant s’enflammer pour des tours de force d’un autre âge, que tout n’était peut-être pas perdu…
« Ce chantier de la Méridienne met en jeu dix grands savoir-faire, m’explique Roland de L’Espée, président des Amis de Versailles. Menuiserie, mais aussi dorure, bronzerie, serrurerie, marbrerie, parqueterie, miroiterie, ébénisterie, tapisserie et passementerie. La quasi-totalité des grands métiers d’art est sollicitée, si nous voulons mener à bien cette entreprise ambitieuse de restauration totale. »
Voilà une bonne– que dis-je, une impérieuse – raison d’aider la Société des Amis de Versailles à mener à bien son nouveau projet. Arrêtons de gémir sur ce qui disparaît ; mobilisons-nous plutôt pour sauver ce qui ne demande qu’à vivre !
Société des Amis de Versailles, www.amisdeversailles.com